TOUJOURS DANS LE RETRO

 1976 : LE PREMIER MARATHON DE PARIS

( Extraits d'un article paru dans le Monde du 1er avril 2016)

Il y a quarante ans, le Français Jean-Pierre Eudier remportait le premier Marathon de Paris, en 2 h 20 min 57 s. A 69 ans, il vit désormais à Bruxelles, où il a fait carrière comme interprète à la Commission européenne, « pendant trente-six ans ». A la retraite, « contraint et forcé », depuis 2011 – « j’avais encore suffisamment d’essence dans la citerne pour continuer » –, il pratique le tir à l’arc et court encore « trois à quatre fois par semaine ». Pour Le Monde, il a accepté de revenir quarante ans en arrière, au temps des « pionniers ».
Cette année, 57 000 personnes se sont inscrites au Marathon de Paris. A votre époque, il y avait moins de 150 partants pour la première édition. Le marathon était vraiment une discipline confidentielle ?
Oui, on pouvait presque parler de pionniers. Depuis deux, trois ans tout de même, les courses sur route commençaient à se développer en FranceVous avez dû entendre parler du journalSpiridon [revue créée en 1972, elle eut un grand succès jusqu’à la fin des années 1980], qui était très lu par les coureurs de longue distance et par les gens qui s’intéressaient à la course à pied de nature, hors des organisations fédérales. Et puis il y avait Sedan-Charleville, qui a plus de cent ans et rassemblait du monde, mais sur 25 kilomètres. Question marathon, il n’y avait pas grandmonde.
Ce n’était pas encore lancé, mais on sentait le début d’un engouement pour la course à pied. Je le mets sur le compte de la victoire de l’Américain Franck Shorter, aux Jeux olympiques de Munich[en 1972]. Cela a entraîné un grand mouvement aux Etats-Unis. La firme Nike a commencé à développer ses fameuses chaussures avec la semelle gaufrée. J’étais aux Etats-Unis à cette époque [comme professeur de français], les gens commençaient à faire ce qu’ils appelaient du « running », du « jogging ».
Le niveau était plutôt élevé parmi les participants de ce premier marathon, puisque le dernier arrivant a franchi la ligne en seulement un peu plus de 3 h 20 min…
La course était ouverte, mais les participants étaient vraiment des spécialistes, qui pratiquaient de la course à pied « sérieuse », avec au moins trois entraînements par semaine. Maintenant, beaucoup de gens qui font le Marathon de Paris dimanche se sont entraînés une ou deux fois par semaine.
Parmi les inscrits en 2016, il y a environ 25 % de femmes. Il y a quarante ans, il n’y en avait aucune.
Oui, c’était exclusivement des hommes, même s’il y avait quelques pionnières, par ailleurs. L’état d’esprit était extrêmement rétrograde. Les instances internationales ont interdit très longtemps aux femmes de courir le 800 m [hormis les Jeux de 1928, elles ont dû attendre 1960 et les Jeux de Rome pour pouvoir s’aligner sur le double tour de piste]. La course, même de courte distance, n’était pas prévue pour les femmes. L’argument était que ce n’était pas féminin. On a entendu cela pour la boxe, le judo, le lancer de marteau, le rugby
A l’époque, pour la première édition, la course aurait pu s’appeler le « marathon du bois de Boulogne » puisqu’il n’en sortait pas…
Nous sommes partis du stade Jean-Bouin, pendant le grand meeting international, avec entre autres, Guy Drut, qui venait d’être champion olympique à Montréal (110 m haies). Après un tour de stade devant les spectateurs, nous sommes partis dans le bois de Boulogne, où nous avons fait des grands huit à travers le bois, toujours sur route, pas sur les chemins. nous avons couru une quarantaine de kilomètres là-dedans, puis nous sommes rentrés dans le stade pour terminer à peine 300 mètres sur la piste. Les spectateurs du meeting nous ont vus arriver.
Y avait-il beaucoup de public au bord du parcours ?
Non, pas grand monde. Je me rappelle très bien avoir vu ma femme sept huit fois, et mon père qui me suivait à vélo. Quand j’ai porté mon attaque, vers le 30e kilomètre, j’étais seul en tête et mon père ne devait pas se rapprocher, sous peine d’être disqualifié. A l’époque il y avait bien une dizaine de vélos qui suivaient derrière le peloton. Les promeneurs du bois de Boulogne nous regardaient de manière curieuse.
Le parcours était beaucoup plus dur que celui d’aujourd’hui. Le bois de Boulogne, ça monte et ça descend. Ce n’est pas le Tourmalet, mais c’est assez casse-pattes. Comme j’avais été étudiant Porte Dauphine, je faisais mes 20 kilomètres tous les matins avant d’aller en cours, et je rencontrais les dames, souvent les mêmes, aux mêmes endroits ! Le bois de Boulogne, c’était mon terrain d’entraînement.
Cette année, le vainqueur, à condition de courir en moins de 2 h 11 min 45 s, remportera 50 000 euros de prime de victoire. Même cagnotte pour la première femme, à condition que son chrono soit inférieur à 2 h 23 min. Et vous, combien votre victoire à Paris vous a-t-elle rapporté ?
Si vous le voulez en dollars ou en euros, ou en francs, ça représente la même chose : zéro. [Rires.]
Mais vous aviez reçu un lot quand même, un jambon ou quelque chose comme ça, non ?
J’ai gagné beaucoup de jambons dans ma vie. J’ai même gagné un cochon un jour, dans une course en Normandie ! Mais le jour du Marathon, c’était un championnat de la Fédération française d’athlétisme. Le premier a eu le droit à une médaille, et c’est tout. Je l’ai gardée précieusement, bien sûr.

Envoi de Michel VIEUX