VACCINATION

 

En route pour Fourqueux

Ayant eu « le privilège » d'être prioritaire pour la vaccination anti Covid, j'ai été convoquée par la mairie plus tôt que ne le permettait ma tranche d'âge. Le départ en car pour le vaccinodrome de Fourqueux était prévu le 9 avril à 9 h précises, sur la place du marché. Ayant toujours eu tendance à céder à des moments de panique lors des départs, mes papiers avaient été soigneusement préparés la veille. Ma grand-mère m'avait souvent répété que, " la ponctualité est la politesse des rois" alors, il ne fallait surtout pas faire attendre. 

J’arrive donc à 8h 55 sur la place du marché. Pas trop en avance, mais, pour imiter mes oncles, cheminots dans l’âme : « l’heure, c’est l’heure, avant l’heure, ce n’est pas l’heure et après l’heure ce n’est plus l’heure ».

Pas de bus en vue.... C'est bizarre… me serais-je trompée de lieu de rendez-vous ?Non, un groupe attend stoïquement sur le côté, c'est bien là. Je marche en direction du mur du marché, me cale bien sur mon sac à dos et je commence à regarder autour de moi. Oh là là, les personnes sont très âgées …..Cherchez l’intrus ? C’est encore moi et je suis gênée. Des situations où Maman pleurait que " nous n'étions pas comme tout le monde", me reviennent à l’esprit. Ah ouf, j’aperçois 2 dames plus jeunes.... Mais non hélas, ce sont les organisatrices tout comme le grand Monsieur que j'aperçois là-bas. 

J'aimerais être dans un trou de souris et je disparais dans mon téléphone. Il me semble que le temps passe. Je lève mon nez et regarde ma montre. 9 h 10. Il semblerait que ce ne soit plus l’heure…. Les gens autour de moi commencent à s'agiter, les membres se délient, on passe d'un pied sur l'autre, on regarde le poignet....

« Quelle heure avez-vous ? »

« Ils sont en retard, que se passe- t-il ? » 

Les dames du service social ont le téléphone collé à l'oreille. Visiblement elles sont inquiètes. Fébrilement nous attendons les nouvelles, les yeux rivés sur elles. Le couperet tombe : le chauffeur n'a pas pris son service ce matin ! Il n'a donné aucune explication ! 

« Oh, c'est inadmissible ! "

« On va écrire au maire !!! 

« Non, mais vous vous rendez compte, faire cela à des personnes de notre âge ». 

La responsable nous invite à garder notre calme et nous rassure, une solution de remplacement est à l’étude. Le grand Monsieur du service social apporte 2 chaises et un gros fauteuil qu'il a sans doute récupéré chez le coiffeur. Les chaises sont prises rapidement mais le gros fauteuil reste inoccupé au milieu du trottoir. Un petit Monsieur très courbé est invité à s'assoir.  Il se vexe. 

« Oui je sais, je suis bossu, j'ai eu un accident mais ce n'est pas pour autant que j'ai mal au dos ! »  

Je peux le comprendre, quand quelqu'un m'offre sa place dans le métro, je me dis que j'ai pris un sacré coup de vieux..., en même temps, je plains le Monsieur du service social, le siège était un peu lourd.. Je ne vais tout même pas l'occuper pour lui faire plaisir... Mais ouf, une dame marchant très mal traverse la route en direction du trône inoccupé !

Tout à coup, une voiture de police arrive et s'arrête. Une tête sort de la portière, les responsables s'avancent... l'heure est grave ! La police ne comprend pas le rassemblement et nous sommes invités à nous regrouper par 6 !!! Nous sommes peut-être pris pour des manifestants... c'est vrai que la tension monte dans le groupe. La situation est comique... j'aurais volontiers pris une photo mais je ne veux pas aggraver la situation ni me trouver au commissariat. Soyons dignes jusqu'au bout. Considérant que mon singleton formé par ma personne et mon sac est tout à fait légal, je ne bouge pas. Je ne vais tout de même pas chercher un groupe de 5 pour faire 6 ?

Le temps passe, il est 9h 45 et nous sommes toujours là. L'expédition pour Fourqueux n'est- elle pas en train de virer au four ? Oh là, je n'avais pas remarqué... déjà le vaccinodrome, le four maintenant. Bon accrochons nous à la " queue" et gardons le moral !

La crêperie ouvre et le gentil Monsieur accompagnateur apporte des chaises. Visiblement elles sont les bienvenues. J'aperçois même un vieux couple qui se tient main dans la main... Comme c'est touchant. Je pense aux " Vieux" d'Alphonse Daudet... à Mamette et à ses cerises à l'eau de vie, plutôt infectes mais si gentiment offertes...

Le soleil brille, il fait beaucoup moins froid qu'hier, on serait presque bien.... Mais voilà, le temps passe et si j’ai bien compris, nous devons être au vaccinodrome avant 11h 30.

Ah, un mouvement de la part des accompagnateurs, nous allons avoir du nouveau. Oyez oyez bonnes gens, avisss à la population :

« Un chauffeur est en route »

« Il est où ? »

« Il approche de Maisons Laffitte. Il devrait être là avant 10 heures ».

La tension redescend, les gens se calent bien sur leur siège et moi sur "mon appui ischiatique" non sur ma miséricorde, c'est plus joli et plus proche de la vérité car je n’arrête pas de prier depuis tout à l’heure. Je prie pour que le bus arrive, pour que mon thé de ce matin ne demande pas à sortir....Les raisons ne manquent pas. Les accompagnateurs et quelques personnes, en groupes inférieurs à 6 bien sûr, sont près de la route, le regard rivé en direction du centre-ville, mains sur les yeux car le soleil est en pleine face.

« Anne ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?

« Je ne vois que la route qui poudroie,.... »

10 heures sonnent... toujours pas de bus.. 10 heures 15, plus que 5 minutes jusqu'à l'heure limite..

« Mais enfin, que fait-il ? »

« Il doit être pris dans des embouteillages.... »

Soudain hurrah, un bus rouge à l'horizon. Ouf, le voilà, les gens se lèvent, tout le monde est tourné vers le Messie. Alléluia, j'ai été entendue par un Saint, Sainte Rita peut-être ? Il est 10 h 30, un bus rouge arrive.... mais que vois-je, il tourne à gauche et continue sa route! Les responsables sont rivés au téléphone...Notre bus est en route mais se serait trompé de chemin...

« Mais, nous ne serons plus acceptés par le vaccinodrome ! »

« Non, ne vous inquiétez pas, vous serez vaccinés aujourd’hui, quoi qu’il en soit ».

La voiture de police s’arrête de nouveau. La tête sort de la voiture, sourire aux lèvres cette fois : "vous auriez mieux fait de prendre l’avion".

« À qui le dites-vous ».

« Mais où est passé ce bus ? »  

A 10h 45, nous apprenons qu'il est stationné en ville, en face de Pizza Hut!

« Non c'est une plaisanterie ! Mais que fait-il là-bas ? Il a un GPS tout de même ! ».

« Il ne peut pas venir nous chercher au marché... »

« Mais pourquoi, est-ce un convoi exceptionnel ?

« Non, il ne connaît pas le chemin et stationne maintenant avenue de Longueil devant la mairie, nous devons le rejoindre là-bas ». Nous étions abasourdis. Certains criaient au scandale, le " maire " va entendre parler de nous... La colonne de têtes blanches s'ébranle pour l'avenue de Longueil où effectivement un bus nous attend. On compte les moutons, je monte et m'assieds au 2 e rang.

Enfin assise ! J'avais un vague à l'âme ce matin et là je suis prise d'une envie de rire subite....J'espère que je n'aurai pas envie d’aller aux toilettes sur le trajet ! Le véhicule se met en route, nous voilà partis. Soudain des voix se lèvent :

« Mais où allez-vous ? Ce n’est pas la route de Fourqueux ! »

C’est exact, nous explique-t-on, nous allons à Houilles chercher un groupe de 20 personnes.

« Comment, ce n’était pas prévu, nous ne serons jamais à l’heure ».

« Ne vous inquiétez pas, tout ira bien ».

Le bus roule, je commence à fermer les yeux quand je suis réveillée par la voisine du 1e rang à droite : « Arrêtez, arrêtez, j’ai le vertige, il faut que je change de place». Le siège surplombe en effet les marches du bus et visiblement la dame n’est pas très bien. Le bus s’arrête, le grand Monsieur responsable accourt pour conduire la dame plus au fond et nous informe que nous profiterons de l’arrêt à Houilles pour chercher un petit calmant à la pharmacie. Au point où nous en sommes, et la dame semble effectivement fatiguée…

Nous arrivons à notre première étape. Une vingtaine de personnes montent dans le bus, visiblement épuisées elles aussi par l’attente. Notre passagère malade est effectivement conduite à la pharmacie. Nous attendons encore et encore mais c'est pour la bonne cause... Un Monsieur vient s'asseoir à côté de moi. Nous sommes tout de même les uns sur les autres alors que nous sommes tous potentiellement dangereux. Un test aurait peut-être été le bienvenu. Nous partons enfin et l'accompagnatrice de Houilles, une petite marrante, nous invite à chanter « les jolies colonies de vacances ».

Mon voisin assis juste devant moi murmure :

« Les jours allongent, nous avons peut-être une chance d'arriver avant la nuit... »
« Vous me faites rire, j’en ai besoin dit sa voisine.

Moi aussi j'éclate de rire dans mon masque... mon voisin reste imperturbable, au moins nous n'échangeons pas nos postillons... Nous arrivons enfin à Fourqueux, jolie petite ville que je connais pas. J'aperçois une boutique sympathique, ce n'est peut-être pas le moment... Nous entrons dans le vaccinodrome, les toilettes sont prises d'assaut.. J’irai plus tard ! Je tourne à droite dans la grande salle. D'immenses yourtes nous attendent... serions-nous en Mongolie ? On peut rêver ! Nous sommes invités à prendre une table pour remplir un imprimé : nom, prénom... tout va bien jusque-là : service d'affectation.... Que veulent-ils dire ? Maisons Laffitte, je suppose, allez, on verra bien. Une dame s'assied à côté de moi. Elle retourne son sac, à mon avis, elle n'a pas de stylo... C'est bien cela. J'ai terminé, je lui cède le mien. Le stylo court sur le papier et s'arrête à service d'affectation...

« Qu'est-ce qu'ils veulent dire par là ?".... Ouf, je me sens moins bête et lui souffle :

« Maisons Laffitte ! » 

Vous avez sans doute raison... 

La dame est appelée, les chaises se vident autour de moi...Je suis encore l’intrus. Tout à coup, j'entends mon nom.

« Vous êtes la dernière »


Un arrêt dans la tente d'un médecin et enfin, la piqûre tant attendue. Le messie va enfin venir me délivrer...  
Je me prépare psychologiquement.. Je ferme les yeux... et je suis invitée à aller m'assoir sans bouger pendant 15 minutes. Je n'ai rien senti. Je reçois mon diplôme, je suis convoquée dans un mois.

Nous regagnons notre bus après avoir attendu une petite demi-heure que notre chauffeur revienne nous chercher.....il avait dû reconduire un autre groupe. Nous le supplions d'aller à Maisons Laffitte directement .... C'est bon, nous avons gagné, Houilles sera la seconde étape ! Et, incroyable mais 30 minutes après, nous étions à la maison et vaccinés !


Épilogue : 


Une amie convoquée le vendredi suivant pour la deuxième injection, m’envoya ce message :

« Arrivés à 8h10, les cars nous attendaient avec un caméraman et un comité d’accueil de gendarmes ».

Il n’y avait ni la fanfare, ni les majorettes mais je parie qu’un article est en préparation pour le journal de la ville. A mon avis, ce ne sera pas la même version.


Françoise VIEUX